
Dans la paracha Dévarim, Hashem rappelle à Moshé Rabénou les étapes du voyage dans le désert. Un verset semble anodin en apparence mais cache une profonde leçon d’actualité.
« Nous avons tourné autour du Har Séïr de nombreux jours. Et Hashem me dit : “Cela suffit pour vous d’avoir tourné autour de cette montagne ; tournez-vous vers le nord” ».
Le Kli Yakar écrit que ce verset « perce les cieux et descend jusqu’aux abîmes » : il contient une allusion aux générations futures, et en particulier à notre époque – celle de la longue et douloureuse galout, l’exil sous la domination d’Edom.
Le verset « Nous avons tourné autour du Har Séïr » renvoie à l’errance prolongée du peuple juif au sein de la civilisation d’Edom, qui symbolise l’Europe et le monde occidental. L’ordre divin « tournez-vous vers le nord (tsafona) » est interprété par le Kli Yakar comme un conseil vital pour survivre à cette galout : il faut tsafon – cacher. Il ne s’agit pas seulement d’un déplacement géographique, mais d’une recommandation d’ordre spirituel : cacher notre réussite matérielle aux yeux des nations.
Pourquoi ? Car tant que les nations voient notre réussite, elles ressentent une forme de jalousie enracinée dans les profondeurs de leur subconscient – depuis que Yaakov a reçu les bénédictions convoitées par Essav. Même si aujourd’hui elles ne le formulent plus explicitement, la Torah enseigne que cette rivalité spirituelle n’a jamais cessé. Ainsi, lorsque les Juifs affichent leur prospérité, cela suscite une haine irrationnelle et dangereuse.
Le Kli Yakar regrette que de nombreux Juifs, au lieu de cacher leur aisance comme la Torah le recommande, l’exhibent au contraire dans les pays d’exil : ils s’habillent avec faste, s’installent dans de magnifiques demeures, comme s’ils voulaient impressionner les nations en leur montrant qu’ils « réussissent » à leur manière. Mais ce comportement ne fait que nourrir davantage de jalousie et exacerber l’antisémitisme latent.
Il conclut avec sévérité : « Ce comportement est très répandu dans notre peuple, et c’est lui qui provoque bien des souffrances. Que les personnes intelligentes en tirent enseignement ! ».
Ce message reste d’une actualité brûlante. Dans nos sociétés modernes, où l’ostentation est la norme, la Torah nous enseigne au contraire la discrétion et la retenue. Même ceux à qui Hakadosh Baroukh Hou a accordé richesse et honneurs doivent garder une conduite modeste et sobre. Car outre la haine des nations, il est inapproprié pour un Juif, même en Eretz Israël, de se considérer comme installé durablement dans ce monde. Le Juif est un voyageur, un oréa’h, un invité en chemin vers le monde à venir.
À ce sujet, on raconte au sujet de notre maître le ‘Hafets ‘Haïm qu’un riche homme d’affaires américain, impressionné par sa réputation, décida de lui rendre visite en Pologne. En entrant dans sa demeure, il fut frappé de constater que le gadol hador vivait dans une maison minuscule, presque vide, avec seulement une table, quelques chaises, et un lit. Il demanda au Rav : « Mais où sont vos meubles, votre confort ? ».
Le ‘Hafets ‘Haïm lui répondit calmement : « Et vous ? Où sont vos meubles ? » L’homme répondit : « Moi ? Je suis de passage ». Le Rav lui sourit : « Moi aussi. Je ne fais que passer dans ce monde ».
Puissions-nous mériter de marcher dans cette voie de pudeur et de conscience spirituelle, et ne jamais perdre de vue que notre destination n’est pas ici-bas, mais dans le olam haba.